« Non bis in idem » dit la loi. Cela vous dit quelque chose ?
Cela signifie qu’une personne ne peut pas être poursuivie, jugée et sanctionnée deux fois pour un même fait.
Alors combien d’entre vous sont-ils hors la loi en ce moment ?
Ne vous voilez pas la face, nous sommes quasiment tous des hors la loi dans ce domaine. Nous sommes capables de nous poursuivre toute une vie, de nous juger plusieurs fois par jour et de nous sanctionner à maintes reprises pour le même fait.
Vous ne me croyez pas? Alors comment traitez-vous votre obésité ? Votre incapacité à avoir un job qui vous plaît ? Vos difficultés financières récurrentes ? Votre nouvel échec amoureux ? Vos tracas de santé ?
Combien de fois cela vous a-t-il trotté dans la tête le mois dernier alors que vous aviez déjà pris soin d’y réfléchir longuement, crayon à la main, pour mettre en place une stratégie corrective ou prendre une décision ?
Combien de fois êtes vous passé devant votre juge intérieur la semaine dernière à ce sujet?
Et rien qu’hier, combien de fois vous êtes vous puni pour cela en refusant une invitation, en évitant un regard, en restant enfermé chez vous, en ne vous autorisant pas de vivre à cause de cela ?
Vous voyez, l’être humain est une machine à poursuivre, juger, sanctionner. Un tribunal permanent qui tourne en boucle à toute vitesse et ressasse. Un tribunal qui juge rapidement tout et n’importe quoi, lui même et les autres et qui sanctionne sans même s’en rendre compte.
Le pire, c’est que la loi autorise la double peine. C’est à dire que pour un même motif, une personne peut avoir à subir deux sanctions. Si vous roulez trop vite, vous pouvez devoir payer et perdre des points sur votre permis. Tout comme il semble communément admis de punir très fortement un enfant qui a échoué bien malgré lui. Déjà puni par le manque de réussite, triste d’avoir déçu les attentes de ceux qu’il aime, il se voit en plus coiffé d’un bonnet d’âne et étiqueté « mauvais ». Vous ne trouvez pas que cela frise l’indécence?
Ce n’est peut-être pas votre manière de faire avec vos enfants, mais peut-être que vous êtes finalement un adepte qui s’ignore de la double peine envers soi-même.
Quand vous êtes rejeté, critiqué ou mis en échec est-ce que vous vous dites que vous n’êtes pas à la hauteur, essayez-vous de vous améliorer en espérant ainsi réussir à retourner la situation tout en craignant maintenant d’aller vers de nouvelles personnes ou souriez-vous en disant « c’est parfait ainsi! Nous n’avions pas les mêmes valeurs ! C’était une mauvaise approche !Next! »
Subir l’échec est déjà une sacrée peine à supporter. Alors pourquoi s’en coller une autre sur le dos en se dévalorisant, en se disant que l’on n’a pas été comme il aurait fallu, que l’on n’est pas assez bien et que de facto les autres nous font peur ?
Les adeptes inconscients de la double peine sont ceux qui se sabotent l’existence en croyant que le tribunal intérieur a toujours raison. Ce sont ceux qui se soumettent à ce grand tribunal intérieur constitué par les injonctions parentales maladroites et la pensée unique maladive de nos sociétés qui dit que personne n’a le droit de se sentir parfait dans son imperfection.
Qui a pu vous faire croire avec autant de conviction que vous serez uniquement aimé pour votre beauté ou votre charme, vos capacités, vos talents et vos réussites ?
En croyant cela, vous ne serez pas aimé, peut-être admiré mais sûrement envié, utilisé comme faire-valoir ou comme levier de réussite.
Qui a pu vous faire croire que pour être aimé vous devez à tout prix améliorer vos défauts au lieu de vous appuyer sur vos talents?
En faisant cela, vous ne serez pas aimé mais jugé comme un éternel insatisfait, flatté par des vendeurs de solutions rapides qui veulent s’enrichir sur votre bonne volonté à devenir meilleur et vos talents muselés permettront à d’autres de rayonner à votre place et d’exister.
Qui a pu vous laisser penser que pour être aimé il faut avoir pu cocher en soi toutes les cases qui définissent le genre aimable ?
En pensant cela, vous ne serez pas aimé pour qui vous êtes mais pour votre capacité à être ce que les autres attendent de vous. Vous serez facile à vivre, facile à séduire, facile à berner, facile à maltraiter. Et cette capacité à être aimable sera votre pire ennemie car vous plairez à tout le monde sans plaire à quelqu’un en particulier. Sans couleur particulière, sans signature, sans challenge vous n’attirerez que des relations communes sans lien profond particulier.
La double peine, c’est se faire du mal à soi-même alors que l’on est déjà en difficulté.
La double peine c’est appuyer soi-même là où ça fait déjà mal et garder le doigt dessus.
C’est se culpabiliser de ne pas travailler alors que l’on est malade. C’est s’interdire de s’acheter des beaux vêtements alors que l’on a des rondeurs qui nous déplaisent. C’est s’accrocher à un amour perdu au lieu de lui tourner rapidement le dos pour rencontrer de nouvelles personnes. C’est s’interdire de chercher le job de ses rêves en disant qu’il ne peut pas exister quand on a un job juste correct qui nous pille la tête. C’est se déclarer idiot et propriétaire d’un cerveau lent quand on rencontre des difficultés. C’est punir son enfant intérieur en s’interdisant de vivre des moments de douceur et de légèreté quand on est malheureux.
Les seules antidotes à la double peine sont la bienveillance et la gratitude.
Seules la bienveillance et la gratitude envers nous-mêmes peuvent nous permettre d’aimer nos imperfections et nos incomplétudes et nous donner la force et l’envie de nous valoriser quand même.
Seules la bienveillance et la gratitude envers les autres et le monde qui nous entoure peuvent nous permettre d’aimer notre vie, notre passage sur terre et nous donner la force et l’envie de valoriser notre environnement.
Se valoriser soi-même et valoriser les autres, n’est-ce pas cela une vie idéale, loin du tribunal de « l’humain qui juge et qui sanctionne », loin de l’univers carcéral des croyances limitantes du « je/tu/il ne mérite pas ».
Vous aimerez quand vous aimerez chez l’autre ses imperfections. Vous serez aimé quand l’autre aimera vos imperfections. Car aimer ce qui fonctionne bien, ce n’est pas de l’amour ! C’est juste du bon sens.
Tout comme la vraie sérénité ne se perçoit que dans les passages périlleux, l’amour véritable de soi et de l’autre n’existe que dans le prisme de ce qui est imparfait.
Je suis imparfaite, ce qui n’est déjà pas toujours simple à vivre alors je ne vais pas en plus me punir pour cela. Au contraire, connaissant ma totale imperfection je peux juste tâcher de faire de mon mieux. Ce qui sera déjà pas mal!